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Le secret professionnel des avocats n'est pas absolu. Devons-nous en maintenir le mythe ?


Libre opinion de Louis B. Buchman

(parue le 6 mai 2020 dans Droit & Patrimoine)

Libre opinion de Louis B. Buchman

#secretprofessionnel #indépendance #conflitdintérêts #avocats #déontologie

Les avocats sont des personnes qui, à l’instar d’autres professionnels, peuvent être dépositaires d’informations à caractère secret, et la révélation de telles informations est punie en France de sanctions pénales[1], sauf dans les cas où la loi impose ou autorise cette révélation[2].

On voit déjà que le secret professionnel en général n’est pas absolu. Pourquoi celui des avocats le serait-il ?

Revenons aux aspects fondamentaux de cette question : le secret professionnel de l’avocat[3] est nécessaire à son client pour que celui-ci puisse, en toute confiance et sans craindre d’être trahi ou dénoncé, confier à son avocat la totalité des éléments lui permettant de poser un juste diagnostic sur sa situation juridique et lui conseiller une conduite ou une action appropriée.

Sans la confiance, sans le secret qui établit la confiance, pas de conseil judicieux, donc moins de respect de la norme, donc un contrat social malmené.

Une fois le secret du client confié à l’avocat, et le conseil de l’avocat donné au client, que fait l’avocat du secret reçu et utilisé ?

Cela dépend du contexte : soit il n’en fait plus rien sauf le conserver, soit il se sert de ce que lui a dit son client en en révélant tout ou partie dans son intérêt et avec son accord, par exemple en le mettant en forme dans des écritures déposées dans un contentieux pour son client (qu’il aura eu soin de faire préalablement approuver par son client), ou, en matière contractuelle, pour rédiger et éventuellement négocier une clause ou un projet entier de contrat.

Le secret du client a donc un contenu utile pour l’avocat, et n’est pas forcément maintenu par lui longtemps, dans sa totalité.

Examinons maintenant le cas fréquent où une partie du secret du client reste secrète parce que sa divulgation serait contraire à ses intérêts et où la divulgation d’une autre partie est nécessaire à ses intérêts.

En conservant non révélée une partie du secret, l’avocat effectue un tri, et pour le bien de son client, va être amené à dissimuler, à mentir par omission.

Avoir cette faculté de trier, est-ce un bien ou un mal ? Cette éventualité pose la problématique du rapport de l’avocat à la vérité. Certes, ‘toute vérité n’est pas bonne à dire’, mais l’avocat est un auxiliaire de justice[4], et en tant que participant à l’œuvre de justice, qui est une recherche de la vérité, est-il acceptable qu’il puisse induire le juge en erreur par un mensonge par omission ?

Ce dilemme moral est résolu en France, au moins de façon implicite, par une priorisation des devoirs, l’avocat ayant pour premier devoir la défense des intérêts de son client, sa contribution à la recherche de la vérité judiciaire passant après.

Notons que cette priorité n’est pas la même partout : Aux Etats-Unis, le devoir de zealous representation du client cède devant l’obligation de ne pas mentir au juge.

Il est possible que la rigueur protestante des premiers colons américains et les principes juridiques hérités de la Common Law anglaise aient contribué à ce que la recherche judiciaire de la vérité soit aux Etats-Unis beaucoup plus poussée qu’en France, avec pour l’avocat une obligation de communication de pièces très complète, ce qui induit un coût du procès bien supérieur.

En France, il semble que la justice se contente d’une recherche sommaire de la vérité, ce qui la rend moins coûteuse et le mensonge par omission de l’avocat moins lourd de conséquences, au prix d’une plus grande méfiance du juge envers le contenu factuel des écritures des avocats.

Mais malgré cette relativité en France de la recherche de la vérité, le secret professionnel des avocats est posé par le Conseil National des Barreaux dans l’article 2.1 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (le « RIN ») comme ‘général, absolu et illimité dans le temps’[5], et le client ne saurait l’en délier.

Cette conception diffère de celle du legal privilege, en vigueur principalement dans les pays de Common Law, dont l’effet est de rendre les écrits de l’avocat et leur contenu non-communicables en matière contentieuse, donc inutilisables par la partie adverse et par le ministère public, et le client peut lever le legal privilege.

Observons d’emblée que la conception française plus extensive a des conséquences importantes et néfastes sur les principes de liberté et de responsabilité des acteurs qui sont au cœur du processus de règlement judiciaire des litiges.

En effet, cette conception présuppose que l’avocat, disposant d’une connaissance du droit qui lui permet d’éclairer la conduite de son client, sait mieux que son client ce qui est bon pour lui, et que le client, présumé faible, pourrait sans elle, être tenté ou forcé de livrer son secret à la puissance publique ou à la partie adverse, contre son intérêt.

Elle va donc plus loin que l’affirmation initiale de l’article 2.1 du RIN que « L’avocat est le confident nécessaire du client », elle transforme l’avocat en gardien de son client contre lui-même.

Observons que cette conception est humiliante pour le client (pourtant placé au-dessus de l’avocat par sa déontologie qui n’existe que pour défendre les intérêts du client), tout en accroissant considérablement la responsabilité professionnelle de l’avocat.

Observons aussi que depuis l’introduction en droit français des procédures de clémence en droit de la concurrence, puis de « plaider coupable » dans le code de procédure pénale, l’avocat commettrait une faute d’incompétence en s’abstenant d’évoquer avec son client la possibilité de révéler le secret qui lui a été confié.

Ce qui serait possible dans certains cas ne le serait pas généralement ? Il y a là une contradiction logique.

Notons aussi que le caractère absolu du secret professionnel de l’avocat souffre déjà des exceptions qui le tempèrent, lorsque par exemple garder le secret confié à l’avocat est susceptible de mettre en danger de façon imminente la vie d’une personne, voire du client lui-même, ou que l’avocat fait l’objet d’une perquisition ou d’écoutes téléphoniques, ou encore lorsqu’il doit, à travers son bâtonnier, effectuer une déclaration de soupçon dans le cadre de la lutte contre le blanchiment.

Mais surtout, cette conception française est invoquée par la plupart des déontologues français de la profession d’avocat comme participant à l’indépendance de l’avocat, y compris vis-à-vis de son client.

Rappelons que l’indépendance de l’avocat est une nécessité pour que celui-ci, libre de tout conflit d’intérêts, puisse donner à son client les meilleurs conseils.

Constatons que l’avocat anglais ou américain a des règles de conflit d’intérêts très semblables aux nôtres, et que pour autant, doté du legal privilege, il ne parait pas souffrir de moins d’indépendance que l’avocat français avec son secret professionnel absolu.

Mais néanmoins, regardons de plus près l’argument selon lequel le fait de devoir maintenir absolu le secret rendrait l’avocat plus indépendant.

Cet argument est une affirmation non démontrée.

L’avocat a, avant tout, vis-à-vis de son client, une obligation de conseil, et aussi de compétence dans sa mission.

La vérification de l’absence du conflit d’intérêts, ou de risque de conflit d’intérêts, est un contrôle interne de l’avocat, qui doit intervenir à deux moments : lors de l’acceptation par l’avocat de sa mission, et une fois effectuée par lui l’analyse de la situation de droit et de fait dans laquelle se trouve son client, analyse préalable et nécessaire à la formulation du conseil le plus adéquat.

Autrement dit, au stade de la formulation du conseil au client, l’avocat doit se poser la question de savoir si quelque considération que ce soit qui lui serait personnelle (par exemple amitié pour le client ou inimitié contre la partie adverse, ou honoraire de résultat prévu pour l’avocat en fonction de tel ou tel résultat dans le dossier du client) ou professionnelle (par exemple avoir eu la partie adverse comme client) ne viendrait pas possiblement déformer la justesse de son analyse, donc, par voie de conséquence, la pertinence de son conseil.

Ce processus mental est-il directement corrélé au fait de devoir conserver absolument le secret du client ?

Je ne le crois pas, et le démontre par l’exemple suivant, tiré d’un cas concret où l’avocat n’a aucun conflit d’intérêt, ni risque de conflit d’intérêt :

Dans cet exemple, le secret confié par le client à l’avocat porte sur les détails d’une invention.

Supposons que sur la base du secret que le client lui a confié, l’avocat donne au client le conseil basique de protéger ses droits en déposant une demande de brevet, après s’être assuré par une recherche d’antériorité que la condition de nouveauté de l’invention est remplie.

Supposons ensuite que ce conseil a été suivi, qu’un conseil en propriété industrielle aura vérifié que cette condition est remplie, et qu’il aura rédigé la demande de brevet mais que juste avant de la déposer, en effectuant une ultime vérification, une antériorité non vue auparavant se sera révélée.

Dans cet exemple, le client, pressé de monétiser son invention, a déjà commencé à négocier avec un tiers une licence du futur brevet, avec l’assistance de son avocat. Celui-ci a dans ce cadre révélé au tiers sous condition de confidentialité les éléments caractéristiques de l’invention, donc au moins une partie si ce n’est la totalité du secret qui lui a été confié.

Compte tenu du changement de circonstance, la brevetabilité de l’invention est compromise.

L’intérêt du client, qui est la préoccupation première de l’avocat, n’est plus alors de déposer une demande de brevet vouée à opposition ou rejet, mais de cesser la négociation avec le tiers sans risquer de sa part une réclamation pour rupture abusive de pourparlers.

L’avocat doit ce conseil rectificatif à son client, car la portée du secret initial a changé. Si le client suit le conseil rectificatif, l’avocat devra aussi révéler au tiers le fait nouveau de l’absence de nouveauté de l’invention, pour justifier la fin de la négociation de la licence de brevet.

Si donc le contenu du secret du client n’est pas intangible, peut fluctuer au fil du temps, et est souvent révélé pour partie par l’avocat ou le client, l’indépendance de l’avocat vis-à-vis de son client (qui doit demeurer entière en tout temps) peut-elle être fonction d’une obligation de maintenir le secret absolu ?

Cet exemple, parmi bien d’autres, amène à la conclusion que la conception française d’un secret professionnel des avocats absolu relève de la mystique, n’est pas tenable et que la phrase finale de l’article 2.1 du RIN devrait être revisitée pour la faire évoluer vers une conception du secret professionnel plus pragmatique, qui prévaut aujourd’hui dans la déontologie de l’avocat de la plupart de nos voisins européens.

« Qui fait l’ange, fait la bête », écrivait sagement Blaise Pascal. Astreignons-nous à conserver les secrets de nos clients autant qu’ils leurs sont utiles mais cessons de vouloir donner l’impression que nous sommes des barrages hermétiques, alors que dans la vraie vie, des divulgations approuvées par les clients, ou les révélations imposées ou autorisées par la loi se produisent fréquemment.

 

[1] Article 226-13 du Code Pénal : « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».

[2] Article 226-14 du Code Pénal : L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret

[3] Article 66-5, loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 : « En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel »

[4] Article 3, loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971

[5] Article 4 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 : « Sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, l’avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel », complété par l’article 2.1 du RIN : « L’avocat est le confident nécessaire du client. Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps. ».

N.B. Me Buchman est avocat aux Barreaux de Paris et de New York, membre du Conseil National des Barreaux et ancien membre du Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris. Ses propos n’engagent pas ces institutions.


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